Pendant les trois quarts d’heure qu’a duré notre entretien avec lui, le téléphone de René Trabelsi ne cessait de sonner. C’est que l’ex-ministre du Tourisme et de l’Artisanat de Youssef Chahed jusqu’à fin février 2020, revenu depuis à son métier premier, celui de voyagiste, est toujours très populaire en Tunisie. Les deux mois passés dans un coma profond à la suite de sa contamination par le coronavirus ont élargi encore plus le cercle de ses amis et sympathisants. Nous l’avons rencontré la semaine passée alors qu’il était de passage à Tunis pour évoquer avec lui sa maladie, sa guérison, ainsi que la situation politique et du tourisme dans notre pays, qui est aussi le sien. Un pays qu’il aime plus que tout.
Dans quel cadre peut-on situer votre visite actuelle en Tunisie ?
J’ai ramené un groupe de 150 personnes d’origine tunisienne vivant en France en pèlerinage sur la tombe d’un grand saint juif tunisien située dans le cimetière du Borgel, à Tunis. L’année d’avant, 500 personnes ont afflué de l’étranger pour l’événement de cette ziara. Les touristes, qui sont venus avec moi pour ce pèlerinage, en ont profité pour se rendre à La Goulette, à La Marsa, à Sidi Bou Said. Mais couvre-feu oblige, ils étaient déçus que les restaurants soient fermés le soir. Ils avaient très envie d’aller manger du poisson à La Goulette en fin de journée.
Cela fait neuf mois que vous n’êtes pas rentré en Tunisie à cause de votre maladie. Comment vous avez été accueilli par les Tunisiens à l’occasion de votre retour ?
Très chaleureux ! Depuis l’aéroport. Beaucoup d’émotion, des pleurs, de la joie. J’ai eu l’impression d’avoir quitté la Tunisie il y a dix ans ! Pendant ma maladie, la sympathie des Tunisiens envers moi m’a comblé. Je n’arrêtais pas de recevoir des messages et des vœux de prompt rétablissement. J’ai appris après être sorti d’un coma de deux mois qu’a Zarzis et à Djerba, des gens priaient pour moi dans les mosquées. C’est exceptionnel≈! Mon rétablissement ressemble à un miracle et il faut être croyant pour s’en rendre compte. Je voudrais remercier tous ceux qui, en Tunisie, m’ont accompagné par la pensée alors que j’étais entre la vie et la mort ainsi que mes médecins tunisiens, qui m’ont entouré et soigné avec beaucoup d’amour et d’attention à l’hôpital Henri Mondor, à Paris. Ils m’ont sauvé car j’ai été hospitalisé en toute urgence le 3 avril au moment du pic de la pandémie lorsqu’on commençait à abandonner les malades en phase finale. Et c’était mon cas !Les docteurs Najla, Haytham Derbel et Mohamed Ghannam ne m’ont pas quitté d’une semelle. Ils m’ont offert la chance de survivre alors que l’hôpital avait désespéré de moi.
Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
Aujourd’hui je vais très bien après avoir subi tous les affres de cet affreux virus, complications respiratoire, perte de l’odorat et du goût, vertiges, fièvre, mobilité réduite…Les deux jours suivant ma reprise de conscience, j’ai perdu la mémoire, ne reconnaissant personne parmi mes proches, mais petit à petit les médecins ont su réveiller mon cerveau. Je ne souffre heureusement pas de séquelles physiques, alors que je suis resté longtemps dans un coma artificiel. Tout fonctionne bien : les poumons, la mémoire, le cerveau, les jambes. Il me faut juste poursuivre des séances de rééducation pour la musculation des épaules. On m’avait averti du temps qu’il faudrait pour que tout rentre dans l’ordre. J’ai quand même gardé le lit pendant trois mois et demi. Récemment, mes médecins m’ont demandé de reprendre mon rythme de vie normal tout en faisant attention, sans trop forcer sur les possibilités de mon corps, qui reste un peu faible. Et surtout ne pas renouer avec la cadence de travail que je suivais lorsque j’étais ministre.D’ailleurs, une des raisons qui ont accéléré ma maladie résidait dans la faiblesse de mon corps lorsque je suis rentré en France en mars à la suite de la fin de ma mission ministérielle ici. Mon immunité était réduite à zéro, tellement je me suis démené à Tunis.
La vie est-elle plus belle lorsqu’on traverse une crise aussi cruciale et que la mort semble si proche ?
Bien sûr ! Avec le recul, on apprend plusieurs leçons d’une telle épreuve. Ainsi on peut posséder tout l’argent du monde, mais les moyens, aussi importants soient-ils, ne permettent pas de guérir de cette maladie. Il faut avoir par contre dans ces cas-là de la chance, comme lors d’un accident mortel où l’on sort indemne malgré tout, et porter en soi une dimension spirituelle très forte. Je pense que croire en Dieu permet de revivre et de se rétablir.
Et la prière des Tunisiens dans les mosquées du sud !
-Oui. La beauté de ce geste est incomparable !
Continuez-vous à suivre l’actualité politique de la Tunisie depuis que vous avez repris vos affaires en France ?
Pendant ma maladie, j’étais pratiquement absent et par la suite tellement faible que je ne pouvais même pas utiliser mon téléphone. Mais petit à petit, je recommençais à m’intéresser à la vie politique tunisienne en suivant certains débats à la télévision. J’étais inquiet, car lorsqu’on a quitté le gouvernement Chahed, on a laissé des voyants verts partout. L’économie, le tourisme, le social…Beaucoup de secteurs connaissaient un début de reprise. Il faut dire qu’à ce moment-là, nous n’étions pas encore vraiment concernés par la Covid, car une semaine avant mon départ, je me suis rendu à l’aéroport pour effectuer une visite de contrôle des conditions sanitaires des lieux. Chargé également du portefeuille du ministère du Tourisme et étant très prévoyant, j’avais examiné la possibilité d’annuler les vols provenant d’Italie. Une destination déclarée en ce temps-là gravement contaminée par le coronavirus. Je remarque malheureusement qu’en ces moments de crise sanitaire aiguë au lieu des solidarités qui devraient se nouer entre les partis politiques pour affronter cette épreuve ensemble, les gens se déchirent en Tunisie sans interruption. Ailleurs, dans les autres pays du monde, on observe à quel point les formations politiques laissent de côté leurs différends pour tenter de vaincre cette catastrophe la main dans la main. Le peuple tunisien ne mérite pas la scène politique actuelle, dont le spectacle est affligeant. Ce peuple, qui souffre en plus de toute une panoplie de difficultés économiques. Ceux qui travaillent en particulier la nuit dans les restaurants et les cafés notamment connaissent une situation très difficile.
La situation du tourisme en Tunisie est au plus bas. Quand estimez-vous que le secteur pourra se rétablir ?
Je pense que le tourisme peut revenir à sa situation antérieure d’ici deux ans. Cela ne veut pas dire que l’on doit attendre deux ans sans rien faire. Il faut d’ores et déjà préparer la reprise. J’ai rendu visite au ministre du Tourisme, un ami que je connais depuis longtemps, et à qui j’ai exprimé ma solidarité et mon soutien. Je lui ai suggéré, par la même occasion, de mettre en place une commission pour travailler sur l’après-Covid. A l’image de ce qu’on peut entreprendre après un attentat terroriste. « Comment s’organiser autrement pour rétablir la confiance ? Où en sont les mesures sécuritaires ? ». Voilà les questions à se poser dans ces conditions. Car les partenaires étrangers qui vont ramener des touristes en Tunisie dans deux ans vont effectuer auparavant des visites spéciales pour contrôler ces nouveaux protocoles sanitaires à respecter. Il faudrait dès maintenant tout revoir : les aéroports, les hôtels, les bus pour le transport des touristes, les restaurants…Il faut savoir que le protocole basé sur de nouveaux codes d’hygiène ne va pas disparaître de sitôt en particulier avec la généralisation du vaccin, cela va prendre du temps pour un retour à l’avant-Covid. Très rassurant : j’ai observé que les hôtels tunisiens se pliaient religieusement à toutes les règles du protocole sanitaire, port du masque, distanciation physique, disponibilité du gel…Toutefois, en juillet et en août, les Tunisiens ont oublié complètement le coronavirus, se déployant sur les plages et organisant fête sur fête. Ce qui a entraîné les résultats que nous relevons aujourd’hui avec la propagation de la maladie.
Considérez-vous que l’ouverture des frontières cet été et les préparatifs élaborés pour recevoir les touristes ont représenté une erreur stratégique vu la recrudescence de la pandémie en automne ?
Il y avait une pression énorme de la part des Tunisiens à l’étranger, qui voulaient rentrer chez eux pour voir leurs familles, passer leurs vacances ici et assister aux mariages comme chaque été. On ne pouvait pas leur interdire ce droit. Le lobby des députés représentant les Tunisiens à l’étranger s’est probablement mobilisé pour réaliser les vœux de ses électeurs. Du côté du tourisme, à l’origine, les réservations n’étaient pas très nombreuses et il a fallu vite tout annuler. Plus encore : mes amis de la Fédération des hôteliers m’ont affirmé qu’ils se sont abstenus de mettre la pression sur les autorités pour maintenir l’ouverture de leurs établissements. Au contraire, fermer leurs hôtels en attendant des jours meilleurs leur aurait coûté moins cher. L’erreur commise à mon avis consiste dans le fait qu’on n’ait pas obligé toute personne venant en Tunisie de se présenter avec un test PCR négatif. Cet acte aurait limité la contamination. Je trouve également contradictoire de voir d’une part les gens s’entasser les uns sur les autres dans les transports publics sans bavette pendant la journée et fermer les restaurants le soir. Pourquoi laisse-t-on les restaurants pleins à craquer le matin et les ferme-t-on à la tombée de la nuit ? Pourquoi ne pas exiger plutôt de ces établissements qu’ils respectent un quota de 30% de leur capacité en permanence ? Les clients aujourd’hui s’attardent dans les restaurants jusqu’à 17H parce qu’ils ne peuvent pas sortir le soir. Pourtant, il est dangereux de rester dans un lieu clos pendant très longtemps. Avoir une ville nocturne morte réduit-il la pandémie ? Je ne le crois pas. On a dernièrement annoncé que le couvre-feu allait s’étaler jusqu’au 30 décembre. Et le 31, les gens vont-ils réveillonner ou pas ? Les restaurants seront-ils ouverts la nuit du 31 décembre ? Personne ne sait. Je pense qu’aujourd’hui il faut être clair dans ses décisions et présenter aux gens un échéancier leur permettant de se projeter dans l’avenir. Il faut vivre avec la covid-19 tout en n’excluant pas l’économie. La Tunisie n’a pas les moyens d’un pays comme la France, par exemple, pour arrêter totalement ses activités économiques. On ne peut pas non plus prendre des mesures importantes d’une façon unilatérale. Trouver des solutions adéquates dans un tel contexte de crise ne peut se faire sans associer tous les intervenants importants de la vie économique : l’Utica, l’Ugtt, la Fédération des hôteliers, les restaurateurs…Il fallait donner des directives visant à la fois à ouvrir des filières économiques et à les contrôler.
Neuf millions 542.000 touristes sont entrés dans notre pays alors que vous étiez ministre du Tourisme. Cette date va-t-elle devenir une référence ? Un exploit ?
Oui, car lorsque le Chef du gouvernement m’avait demandé de fixer un objectif de neuf millions d’entrées pour la saison 2019-2020, j’avais trouvé le pari très difficile. Car il fallait rajouter un million aux chiffres de l’année 2018. La Tunisie rencontrait encore des problèmes d’environnement et de transport aérien. Mais lorsqu’on a commencé à travailler, nous avons trouvé la bonne formule pour attirer les visiteurs étrangers. Les tour-operators que je connais bien ont rajouté tous dans la capacité d’accueil et de transport des touristes vers notre pays. J’avais même senti qu’on pouvait arriver à 10 millions de visiteurs en 2020. Mais le coronavirus s’est déclaré. Je pense que dans deux ou trois ans, on va oublier 2010, année de référence jusque-là pour le tourisme, pour renvoyer aux records de 2019.
Est-ce que vous continuez à travailler pour la Tunisie comme vous l’aviez fait quand vous étiez ministre alors que vous résidez aujourd’hui à Paris ?
Bien sûr. J’ai affrété des avions cet été pour aider les Tunisiens à revenir chez eux. Car il n’y avait pas assez de capacités aériennes pour cette opération de retour. J’organise également la venue de touristes pour passer la fin de l’année ici, à Hammamet, Monastir, Sousse et Djerba. Je veux mettre les bouchées doubles pour la reprise. Je pense que début avril sonnera l’heure d’une reprise moyenne et je m’y prépare sérieusement. D’autant plus qu’avec cette expérience de ministre, j’ai acquis plus de connaissances du terrain. Je veux aider mon pays encore plus maintenant qu’il a besoin de moi et qu’il traverse des difficultés jamais connues auparavant.
Razgallah
15 décembre 2020 à 13:50
Rene la sante le bonheur et la joie ta patrie a besoin de toi